La France galante ou histoires amoureuses de la cour
La France galante est un recueil de nouvelles galantes du XVIIᵉ siècle qui se distingue par son franc-parler sexuel et par une ouverture thématique inhabituelle pour l’époque. Dès l’Avis au lecteur, l’auteur met en place une véritable stratégie de captation : il annonce vouloir « faire tomber les masques » et révéler le vrai visage de figures connues, en particulier dans le domaine amoureux et sexuel, là où elles affectent d’ordinaire une attitude hypocrite ou « béate ». La récurrence du verbe voir place immédiatement le lecteur dans une position de voyeur, de spectateur privilégié qui va pénétrer l’intimité des grands personnages et des intrigues de cour. L’ouvrage est divisé en six parties, chacune relatant des histoires d’amour, de désir ou de trahison, souvent situées dans des milieux aristocratiques ou ecclésiastiques. Les intrigues reposent fréquemment sur la jalousie, la vengeance masculine et la tromperie amoureuse. Si la sexualité n’est pas toujours représentée frontalement dans les premières histoires, elle est constamment suggérée à travers un vocabulaire allusif : on parle de maîtresses qu’on « essaye » comme on goûte un mets, d’« appétit », de relations spirituelles abaissées au niveau corporel. Certaines nouvelles adoptent même une tonalité morale ou préventive : ainsi, une femme qui prend pour amant un page réputé dans tout Paris finit par tomber malade et mourir, comme pour souligner les risques liés à la sexualité hors des normes. Cette dimension moralisante n’efface toutefois pas la puissance érotique des récits. Ce qui frappe dans La France galante, c’est la présence très marquée de la sexualité explicite, tant dans les textes que dans les illustrations. De longs passages poétiques décrivent l’acte amoureux avec une sensualité détaillée et un vocabulaire métaphorique évocateur. On peut citer, par exemple :
« Alors tout doucement j’entre / Là-bas dans ce petit centre, / Où Cipris fait son séjour… » (p. 523) ou encore :
« Tant d’étreintes, tant de pamoisons, tant de baisers sans contrainte, tant de friandes morsures… » (p. 523-529)
La description se poursuit avec lyrisme et crudité mêlés :
« Pardepetites secousses, / Par réciproques repousses / Chacun mêle de sa part / Quelque petit tour paillard… » (p. 527-528).
Ces passages, proches de la poésie érotique, témoignent d’un glissement vers une écriture ouvertement sexuelle, bien au-delà des simples sous-entendus galants. L’œuvre ne se limite pas aux relations hétérosexuelles traditionnelles. Elle évoque également des comportements homosexuels ou queer, parfois de manière implicite, parfois assez directe. Ainsi, le Chevalier de Lorraine est mentionné comme ayant détourné un prince de ses amours féminines pour le ramener à ses « premières inclinations » (p. 10), allusion transparente à une relation homosexuelle. Plus loin, l’amitié très intime entre deux femmes nobles est décrite ainsi :
« Elles furent confidentes… et goûtèrent de bien des sortes de plaisirs » (p. 61-63).
Des soupçons de relations entre femmes et domestiques sont également évoqués (p. 160-161).
Les récits mêlent aussi séduction, transgression et humour. Certaines scènes mettent en valeur des séductions atypiques : par exemple, la rencontre entre une femme et Scarron, homme difforme mais spirituel, où le charme intellectuel supplante les attraits physiques (p. 537-538). D’autres passages relatent des épisodes de jalousie, de chantage ou même d’inceste, comme cette relation entre un évêque et sa nièce entretenue par menace (p. 200-201).
Sur le plan formel, La France galante reprend des éléments des nouvelles galantes traditionnelles (promenades, loisirs, intrigues sentimentales), mais en poussant beaucoup plus loin la transgression sexuelle. L’érotisme est mis au premier plan, tant dans le récit que dans l’iconographie, qui n’hésite pas à représenter des scènes de coït selon un mode de dire galant, parfois édulcoré, parfois très direct. Ce mélange de libertinage, de satire sociale et d’ouverture thématique confère au texte un caractère à la fois ancien et audacieux : il conserve des marques de l’érotisme « gaulois » hérité du début du XVIIᵉ siècle, tout en développant des idées plus « progressistes » sur l’homosexualité, la place des femmes ou même une forme d’anti-validisme (notamment dans la figure de Scarron).
Enfin, la place du lecteur est centrale. Tout est conçu pour attiser sa curiosité, le placer dans la position d’un observateur indiscret, témoin des intrigues et des corps dévoilés. La France galante est ainsi à la fois une œuvre littéraire et un dispositif voyeuriste, où la sexualité devient un instrument de dévoilement des hypocrisies sociales, mais aussi un espace de jeu, de plaisir et de subversion.